Interview: Pourquoi les actions de Trump sur Jérusalem soulèvent d’importantes questions auxquelles l’Eglise doit répondre
La reconnaissance par le président Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël a ravi les chrétiens évangélistes blancs des États-Unis, le groupe religieux qui a massivement voté pour lui.
Dans la pensée évangéliste, cette décision est conforme à la promesse biblique de Dieu, qui a donné la Terre Sainte au peuple juif, et le rassemblement des exilés juifs en Israël est, pour les évangélistes, un signe annonciateur de la fin des temps, où le Christ règnera de nouveau sur terre.
Or, les catholiques, la plus grande confession religieuse aux États-Unis, se méfient de cette fusion du sionisme chrétien avec la théologie apocalyptique, et le pape François et le Vatican ont critiqué la déclaration du président Trump sur Jérusalem.
Mais le professeur Gavin D’Costa, éminent théologien et conseiller de longue date du Vatican pour les questions interreligieuses, souligne que les catholiques sont également tenus de prendre au sérieux les promesses bibliques faites à Israël.
Dans un interview accordée à Tablet Magazine, à l’occasion d’une conférence à Rome sur le dialogue interreligieux, ce professeur de théologie catholique de l’université de Bristol, a fait référence à un discours de Jean Paul II donné en 1980. Dans ce discours adressé aux Juifs de Mayence il affirmait que l’alliance biblique de Dieu avec Israël était toujours valide.
Cette conviction a maintes fois été répétées par Benoît XVI puis Francis. Tout cette pensée d’Alliance éternelle entre Dieu et Israël, s’est imposée, suite à la publication en 1965, d’un document historique intitulé, “Nostra Aetate”, qui a révolutionné les relations entre catholiques et juifs, qui sont passées de l’hostilité à l’amitié.
“En affirmant que les promesses que Dieu a faites aux Juifs en concluant son alliance avec Israël étaient toujours valides, que voulons-nous dire? Cela signifie-t-il que ce qui est central pour un Juif c’est la terre? “, a-t-il déclaré lors d’une conférence de dialogue œcuménique et interreligieux au campus” passerelle “de l’Université Notre Dame, à deux pas du Colisée. “Je trouve qu’il y a une sorte de timidité à l’affirmer qui se manifeste côté catholique, certainement à cause des musulmans et des facteurs politiques auxquels sont confrontées les églises du Moyen-Orient.”
Et il a ajouté: “Du point de vue de la doctrine théologique, cela devrait couler de source.”
Le professeur D’Costa cherche maintenant à promouvoir ce qu’il appelle un «sionisme catholique à minima». Celui-ci devrait affirmer que Jérusalem est la «capitale» d’Israël et que cela «pourrait» être considéré comme faisant partie du plan divin, à condition que cela n’exclue pas les droits des Palestiniens.
Cela ne signifie pas que le professeur, qui a travaillé en concertation avec le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux pendant des décennies, soutient la décision du président Trump. Cette décision, a-t-il souligné, est “terriblement incendiaire” car elle contourne les résolutions internationales qui pour l’heure, souhaitent maintenir la division de Jérusalem comme capitale religieuse. Mais cela ne signifie pas que cela ne soulève pas que l’Eglise peut se dispenser de répondre aux questions importantes soulevées par la question.
D’Costa a étudié sous l’influence du théologien et philosophe influent John Hick qui fut un pionnier dans le domaine du pluralisme religieux et qui a suscité l’intérêt du théologien de Bristol sur ce sujet.
Ce Catholique britannique né au Kenya, où il a été confronté à diverses cultures religieuses, a d’abord été un disciple de Karl Rahner, un des théologiens les plus influents du catholicisme, et de sa théologie «inclusiviste». La notion de «chrétien anonyme» émise par Rahner explique comment les non-chrétiens peuvent accéder au salut. Sa pensée fut ensuite reprise par un autre jésuite, Jacques Dupuis, dont le travail sur le pluralisme religieux en Extrême-Orient fut étudié par le cardinal Joseph Ratzinger, puis plus tard par le pape Benoît XVI.
En tant que Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le Cardinal Ratzinger a publié un document controversé appelé “Dominus Iesus” qui a mis un terme aux idées de Rahner et Dupuis, en ce qu’il considérait l’unicité du Christ – et de l’Eglise Catholique – comme chemin vers le salut. D’Costa, qui admet avoir adopté une position plus «exclusiviste» dans ses écrits sur les questions interconfessionnelles, affirme qu’il est d’accord avec le point de vue de «Dominus Iesus», bien qu’il émette un certain nombre de réserves.
“Il me semblait que le dialogue interreligieux allait trop facilement dans le sens de la réduction des différences et de la mise en avant des points communs”, a-t-il déclaré au sujet de sa propre réflexion. “Ce n’est pas que je veuille mettre l’accent sur les différences, mais pour élaborer un dialogue sérieux, il faut éviter de voir l’autre comme cela nous convient, mais plutôt essayer de reconnaître sa singularité et essayer de le comprendre tel qu’il est ».
“Le dialogue interconfessionnel, dans les années 60, était comme une grande publicité de Coca-Cola représentant des effusions joyeuses et chaleureuses entre des gens devant un coucher du soleil. C’est fantastique si c’est basé sur quelque chose de réel et durable, mais ce n’était pas le cas. ”
D’Costa loue le pape François qui a eu le courage de mettre les questions interreligieuses à l’ordre du jour de son agenda, notamment en aidant les réfugiés musulmans et en invitant les dirigeants juifs et musulmans de Terre Sainte au Vatican.
“Francis a le don de faire passer un message sans les mots, et sans discours théologique”, a déclaré le professeur D’Costa. “Et je pense que c’est ce dont l’Eglise a grand besoin après deux papes très intellectuels et très cultivés. Le charisme de François est une grande bénédiction. ”
Il a ajouté: “Là où il s’est déplacé, le dialogue a été relancé et il est très vivant. Il parvient à fédérer des personnes simples et pauvres qui sont souvent excluent d’un discours plus académique, parce que nous avons tendance à privilégier la réflexion plus dogmatique au sein de l’Eglise. Mais je pense que c’est un processus inévitable qui permet d’équilibrer et d’harmoniser la réflexion au sein de l’Eglise. ”
Le professeur D’Costa a toutefois souligné que ce rééquilibrage avait été initié par Benoît XVI. “Il était très mal à l’aise avec tout cette tendance doctrinale”, a-t-il expliqué. ” C’est lui qui le premier a commencé à privilégier l’action sociale, bien que pas de façon aussi charismatique que Francis.”